mardi 8 janvier 2013

Formez-moi


9h05. 
J'essaie de marcher le plus vite possible en regardant ma montre.
Et en rêvant d'un Big Mac.
Neuf heures cinq, neuf heures cinq…
Cinq minutes de retard.
Cinq petites minutes de retard.
Ce n’est pas non plus l'océan à ingurgiter.
Cinq minutes c’est quoi dans une vie ?

Déjà que j’ai réussi à me lever malgré tout ce que je me suis mis dans le bec hier soir (comprenez les litres d’alcool que j’ai bu), on devrait me féliciter. Mon employeur ne sait décidément pas la chance qu’il a…
Si seulement je travaillais au Macdo, je l’aurais sûrement déjà mangé ce foutu Big Mac…
J’active le pas, mes talons claquent sur la moquette, mon fessier roule. J’espère être discrète. Ne le suis pas.
Je porte un jean gris clair ultra moulant (comprenez sur le point d’exploser), dix centimètres de talons, un chemisier noir décolleté et une petite veste cintrée.
Mes ongles sont vernis couleur magenta. Vu d’avion, c’est pas mal.
J’ai le dernier « Elle » sous le bras et je tente péniblement de me mettre du gloss.
Comme si c’était le moment.
Tout en roulant du cul, je réalise que je porte un jean là où mes collègues filles de l’abominable tour de la Défense où je travaille portent des tailleurs (pendez les !).
Je n’y ai même pas réfléchi en m’habillant.
Je réfléchis peu quand j’ai la gueuldeub (c’est à dire souvent).
Je roule mon jean moulant vers la salle de formation. 
Une dizaine de jeunes cadres, comme moi, sont déjà assis, frais et prêts à être formés.
« Bonjour, dis-je en ouvrant la porte, d'une voix désolée. Excusez-moi pour le retard. Il y avait des chiens sur la voix et le métro était paralysé. Les chiens errants sont vraiment un problème à Paris. »
Silence dans la salle. Je vais m'assoir, satisfaite de mon bobard.
Je pose son sac, mon Elle, mon gloss. Je croise les jambes. Je sens les regards sur moi. Les garçons me passent au scanner. Les filles me trouvent pouffiasse.
Je réagis enfin et me dis que ça doit paraître bizarre d'être dans une salle de formation avec des lunettes de soleil sur le nez. Je les monte discrètement sur ma tête en me disant qu’à présent tout le monde va voir que j'ai la gueule de bois.
Si on me demande pourquoi j’ai cette tête là, je vais leur dire que j'ai les yeux gonflés parce que j’ai pleuré. Je vais leur dire que j'ai pleuré parce que j’ai perdu ma grand-mère. Non, trop classique. Je vais leur dire que j’ai pleuré parce que j’ai perdu mon chat. Non plus, ça fait trop mémère. Je leur dirai que j’ai pleuré parce que j’ai rompu avec mon mec. Oui ! Très bien ! En plus, c'est vrai que j'ai pas de mec.
En plus comme ça les filles auront mal au cœur pour moi et les garçons se diront « Youpi la voix est libre ».
Mon capital sympathie va remonter et avec un peu de chance, je vais gagner un rencard. PAR-FAIT !
Pas question que je raconte qu’en réalité, j’ai cette tête là parce que j'ai vu mes copines hier soir. Qu'on est allées à un bar pour fêter la promotion de l'une d'entre elles. Qu'on a bu 9 bouteilles de rosé à 4 puis une bouteille de bon champagne qu'on a, certes finie, mais été incapables d'apprécier car on avait 14 grammes. Et qu'on a fini par des shuts de chépaquoi offerts par le patron.
Non.
Je ne peux pas dire ça.  
Ça fait bizarre pour un lundi soir. 
Je vais leur dire que j'ai pleuré parce que j'ai perdu mon mec.
Dans mes pensées, je ne vois évidemment pas le doigt accusateur du formateur, pointé sur mon « Elle » que j'ai machinalement ouvert à la page horoscope (oui, l'horoscope du « Elle », c'est le vrai. Parole de Cathy).
« Melle Brochet, vous ne prenez pas de note? »
Des notes! Mais bien sur! Ou avais-je la tête!
« Si bien sûr, mais je ne sais pas si j'ai un stylo » réponds-je en fouillant nerveusement dans mon sac. Dont jaillissent vernis à ongles, rouges à lèvres, portefeuille rose et bouteille de parfum. Et pas de stylo.
Le formateur (moche et méchant) m'en tend un en levant les yeux aux ciels.
Je m'aperçois alors que je n'ai pas de feuilles non plus. Je n'ose pas le dire au formateur moche et méchant. Je me lève. Pense être discrète. Ne le suis pas. M'approche du rétroprojecteur qui est posé sous un bloc de feuilles pendant que le formateur continue son monologue (soporifique). Je prends une pile de feuilles de ce même bloc et retourne m'assoir, fière de moi et de ma discrétion (non!).
Je lève les yeux et constate que le slide que diffusait le rétroprojecteur est à présent complètement décalé vers le bas. Des sourcils froncés sont tournés vers moi. J'agite les feuilles pour justifier mon geste mais sens bien qu'on m'a classée dans la catégorie des boulets écervelés doublés de pétasse.
Bon. Tant pis.
Tandis que le formateur moche et méchant réajuste le slide, je me dis que cette fois, je vais être sérieuse et faire comme mes voisins. Je vais écouter ce que dit le prof, prendre des notes et m'intéresser à cette formation. Une nouvelle ère arrive. La nouvelle Cathy Brochet est née. Je vais devenir une professionnelle accomplie, une femme d'affaire respectée et redoutée et brillante… Et …
« pour apprécier le dépassement des seuils requis, il convient de se placer à la date de clôture d'un exercice social et, pour les sociétés nouvellement créées, à partir de la clôture du premier exercice. Les SAS appartenant à un groupe doivent, même en l'absence de dépassement des seuils, désigner, sans délai, un commissaire aux comptes. Certaines opérations nécessitent l'établissement d'un rapport par un commissaire aux comptes pour leur validité ou par renvoi aux règles des sociétés anonymes ; les SAS concernées… »
Notre ssssseigneur !!! DONNEZ MOI UNE CORDE!!!! QU’ON ME PENDE !!! JE SUIS PRISONNIERE A CHIANT-LAND!!!!

J'observe mes voisins (et les mouches voler). Tous ont l’air sérieux et intéressés par cette abominable formation. Mais comment font-ils???
Et mon voisin, avec ses lunettes et le Monde de l'Economie sur le bureau… Non mais franchement…

Je continue à penser à mon non-Big-Mac, aux blagues de la veille avec mes copines, au serveur mignon du bar (bar qu’on a plié, au passage, tels les Huns). Je subirai la journée en échangeant des textos avec mes copines, sous les yeux réprobateurs de mon voisin binoclard. 
La formation fût d'un ennui intersidéral.
Sauf le déjeuner.
Bon ok, ça parlait boulot mais au moins, me suis rempli le ventre.

Entrée-plat-fromage-dessert.

Vin.

J'ai pris un gros plat de pâtes pour éponger la gueuldeub'. 
C’était bel et bien le meilleur moment de la journée. L'après-midi, par contre, a été la plus longue après-midi de l'histoire des après midi.
J'ai fait trois allers-retours aux toilettes pour me mettre de l'eau froide sur la figure et ne pas m'endormir. Me demande encore si dire que j'avais mes règles pour justifier mes va-et-vient vers les toilettes était une bonne idée. Mes camarades ont surement dû penser que j'avais un problème gastrique justifié par la quantité de bouffe que j'ai ingurgitée au resto le midi. 
Ça ne mange pas que des salades les pouffes normalement ???

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