9h05.
J'essaie de marcher le plus vite
possible en regardant ma montre.
Et en rêvant d'un Big Mac.
Neuf heures cinq, neuf heures cinq…
Cinq minutes de retard.
Cinq petites minutes de retard.
Ce n’est pas non plus l'océan à ingurgiter.
Cinq minutes c’est quoi dans une vie ?
Déjà que j’ai réussi à me lever malgré tout ce que je me suis mis dans le
bec hier soir (comprenez les litres d’alcool que j’ai bu), on devrait me
féliciter. Mon employeur ne sait décidément pas la chance qu’il a…
Si seulement je travaillais au Macdo, je l’aurais sûrement déjà mangé ce
foutu Big Mac…
J’active le pas, mes talons claquent sur la moquette, mon fessier roule.
J’espère être discrète. Ne le suis pas.
Je porte un jean gris clair ultra moulant (comprenez sur le point
d’exploser), dix centimètres de talons, un chemisier noir décolleté et une
petite veste cintrée.
Mes ongles sont vernis couleur magenta. Vu d’avion, c’est pas mal.
J’ai le dernier « Elle » sous le bras et je tente péniblement de
me mettre du gloss.
Comme si c’était le moment.
Tout en roulant du cul, je réalise que je porte un jean là où mes collègues
filles de l’abominable tour de la Défense où je travaille portent des tailleurs (pendez les !).
Je n’y ai même pas réfléchi en m’habillant.
Je réfléchis peu quand j’ai la gueuldeub (c’est à dire souvent).
Je roule mon jean moulant vers la salle de formation.
Une dizaine de jeunes
cadres, comme moi, sont déjà assis, frais et prêts à être formés.
« Bonjour, dis-je en ouvrant la porte, d'une voix désolée. Excusez-moi
pour le retard. Il y avait des chiens sur la voix et le métro était
paralysé. Les chiens errants sont vraiment un problème à Paris. »
Silence dans la salle. Je vais m'assoir, satisfaite de mon bobard.
Je pose son sac, mon Elle, mon gloss. Je croise les jambes. Je sens les regards sur moi. Les garçons me passent au scanner. Les filles me trouvent
pouffiasse.
Je réagis enfin et me dis que ça doit paraître bizarre d'être dans une salle de
formation avec des lunettes de soleil sur le nez. Je les monte discrètement
sur ma tête en me disant qu’à présent tout le monde va voir que j'ai la gueule
de bois.
Si on me demande pourquoi j’ai cette tête là, je vais leur dire que j'ai les
yeux gonflés parce que j’ai pleuré. Je vais leur dire que j'ai pleuré parce que
j’ai perdu ma grand-mère. Non, trop classique. Je vais leur dire que j’ai pleuré
parce que j’ai perdu mon chat. Non plus, ça fait trop mémère. Je leur dirai que j’ai pleuré parce que j’ai rompu avec mon mec. Oui ! Très bien ! En
plus, c'est vrai que j'ai pas de mec.
En plus comme ça les filles auront mal au cœur pour moi et les garçons se
diront « Youpi la voix est libre ».
Mon capital sympathie va remonter et avec un peu de chance, je vais gagner
un rencard. PAR-FAIT !
Pas question que je raconte qu’en réalité, j’ai cette tête là parce que
j'ai vu mes copines hier soir. Qu'on est allées à un bar pour fêter la
promotion de l'une d'entre elles. Qu'on a bu 9 bouteilles de rosé à 4 puis une
bouteille de bon champagne qu'on a, certes finie, mais été incapables d'apprécier
car on avait 14 grammes. Et qu'on a fini par des shuts de chépaquoi offerts par
le patron.
Non.
Je ne peux pas dire ça.
Ça fait
bizarre pour un lundi soir.
Je vais leur dire que j'ai pleuré parce que j'ai
perdu mon mec.
Dans mes pensées, je ne vois évidemment pas le doigt accusateur du
formateur, pointé sur mon « Elle » que j'ai machinalement ouvert à
la page horoscope (oui, l'horoscope du « Elle », c'est le vrai.
Parole de Cathy).
« Melle Brochet, vous ne prenez pas de note? »
Des notes! Mais bien sur! Ou avais-je la tête!
« Si bien sûr, mais je ne sais pas si j'ai un stylo » réponds-je en fouillant nerveusement dans mon sac. Dont jaillissent vernis à ongles,
rouges à lèvres, portefeuille rose et bouteille de parfum. Et pas de stylo.
Le formateur (moche et méchant) m'en tend un en levant les yeux aux
ciels.
Je m'aperçois alors que je n'ai pas de feuilles non plus. Je n'ose pas
le dire au formateur moche et méchant. Je me lève. Pense être discrète. Ne
le suis pas. M'approche du rétroprojecteur qui est posé sous un bloc de feuilles
pendant que le formateur continue son monologue (soporifique). Je prends une
pile de feuilles de ce même bloc et retourne m'assoir, fière de moi et de ma discrétion
(non!).
Je lève les yeux et constate que le slide que diffusait le
rétroprojecteur est à présent complètement décalé vers le bas. Des sourcils
froncés sont tournés vers moi. J'agite les feuilles pour justifier mon
geste mais sens bien qu'on m'a classée dans la catégorie des boulets écervelés
doublés de pétasse.
Bon. Tant pis.
Tandis que le formateur moche et méchant réajuste le slide, je me dis que
cette fois, je vais être sérieuse et faire comme mes voisins. Je vais écouter
ce que dit le prof, prendre des notes et m'intéresser à cette formation. Une
nouvelle ère arrive. La nouvelle Cathy Brochet est née. Je vais devenir une
professionnelle accomplie, une femme d'affaire respectée et redoutée et
brillante… Et …
« pour apprécier le dépassement des seuils requis, il convient de se
placer à la date de clôture d'un exercice social et, pour les sociétés
nouvellement créées, à partir de la clôture du premier exercice. Les SAS
appartenant à un groupe doivent, même en l'absence de dépassement des seuils,
désigner, sans délai, un commissaire aux comptes. Certaines opérations
nécessitent l'établissement d'un rapport par un commissaire aux comptes pour
leur validité ou par renvoi aux règles des sociétés anonymes ; les SAS
concernées… »
Notre ssssseigneur !!! DONNEZ MOI UNE CORDE!!!! QU’ON ME
PENDE !!! JE SUIS PRISONNIERE A CHIANT-LAND!!!!
J'observe mes voisins (et les mouches voler). Tous ont l’air sérieux et intéressés par cette
abominable formation. Mais comment font-ils???
Et mon voisin, avec ses lunettes et le Monde de l'Economie sur le bureau… Non
mais franchement…
Je continue à penser à mon non-Big-Mac, aux blagues de la veille avec mes
copines, au serveur mignon du bar (bar qu’on a plié, au passage, tels les
Huns). Je subirai la journée en échangeant des textos avec mes copines, sous
les yeux réprobateurs de mon voisin binoclard.
La formation fût d'un ennui
intersidéral.
Sauf le déjeuner.
Bon ok, ça parlait boulot mais au moins, me suis rempli le ventre.
Entrée-plat-fromage-dessert.
Vin.
J'ai pris un gros plat de pâtes pour éponger la gueuldeub'.
C’était bel
et bien le meilleur moment de la journée. L'après-midi, par contre, a été la
plus longue après-midi de l'histoire des après midi.
J'ai fait trois allers-retours aux toilettes pour me mettre de l'eau
froide sur la figure et ne pas m'endormir. Me demande encore si dire que j'avais mes règles pour justifier mes va-et-vient vers les toilettes était une
bonne idée. Mes camarades ont surement dû penser que j'avais un problème
gastrique justifié par la quantité de bouffe que j'ai ingurgitée au resto le
midi.
Ça ne mange pas que des salades les pouffes normalement ???
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire