lundi 3 décembre 2012

La mission à Londres


Et merde....
Alors qu'aujourd'hui je ne suis pas spécialement fraîche et que j'ai passé la journée derrière mon PC à cliquer sur ma souris de temps en temps pour faire croire que je travaille, Cruella, ma boss, me convoque dans son bureau.
Cruella. La petite cinquantaine, belle, élégante, griffée, autoritaire, brillante. N'aime pas les filles. Surtout celles qui sont plus jeunes qu'elle. Pense avoir plus d'expérience que toutes les autres filles. En tout. Surtout celles qui sont plus jeunes qu'elle. Les regarde de haut en bas en les dénigrant sur à peu près tout. A une opinion sur à peu près tout. S'impose en juge, tout le temps, sur à peu près tout.
Au boulot (comprenez stalag) lorsqu'elle marche dans les couloirs, tel Himmler, le bruit de ses talons rythme nos cœurs angoissés, à moi et aux autres membres de son équipe. Nous. Les petites mains. La populasse. Nous prions tous pour que le couperet ne tombe pas sur nous et qu’elle ne nous prenne pas en mission avec elle. Que ce ne soit pas nous qu'elle cherche lorsqu’elle entre dans notre open-space à nous. Les petites mains. La populasse.
La dernière fois que ses pas ont résonné, c'est sur moi que le sort s'était abattu.
« Cathy Brochet! Dans mon bureau! »
Ce jour là, résignée, j'avais traîné ma carcasse désabusée vers son bureau. Tremblottante.
Elle avait commencé par me toiser. Je vois bien qu'elle ne m'aime pas. Elle allait donc prendre un malin plaisir à me torturer, je le sentais.
« Brochet, même s'il est clair que vous êtes jeune et encore inexpérimentée, vous avez fait du bon boulot lors de votre dernière mission. C'est pourquoi, et notez bien que c'est une immense chance à votre niveau, je vous veux sur la mission Alpha. A Londres. »
Rapide analyse d'informations dans le cerveau de Cathy.
De 1. Mais depuis quand je fais du bon boulot??? Elle ne s'est même pas aperçue que je ne comprends rien à ce que je fais. C'est un comble ! Moi qui pense être démasquée à chaque mission. Moi qui, dans mes cauchemars, vois le personnel qui m'a recrutée, il y a 3 ans, me dire « Brochet, comment est-ce possible qu'une personne aussi idiote et incompétente ait pu obtenir un tel diplôme? Vous êtes une belle erreur de recrutement ! » D’autant que ça ne m'intéresse même pas. Et que j'y comprends rien. NON MAIS ALLOOOO?????
De 2. C'est une blague ou je vais à Londres? Au frais de la princesse? C'est vrai? Non mais merciiiii la viiiiiiie!!!!
Cruella s'était retournée et avait ajouté « Nous partons demain, 6h30, gare du Nord. Pour 3 semaines ».
De 3. Mourir, je voulais.
La mission a commencé par commencer mal.
Le premier jour, l'hôtel s'est trompé sur la réservation. Il n’y avait que deux chambres réservées alors que nous étions 4 en mission. Deux garçons, Cruella et moi. Professionnellement, l'éthique et la conformité (ces idiotes!) imposent que les chambres ne soient pas mixtes. On ne dort pas entre collègues de sexes différents.
Je fus donc obligée de dormir dans la même chambre que Cruella. Celle-ci a pourtant piqué une colère sans nom au maître d'hôtel pour qu'il trouve une autre solution. Nous tremblions tous. Y compris le maître d’hôtel. Mais rien à faire, il n'y avait pas d'autre solution.
Sous le regard désolé des deux garçons de l’équipe et du maître d'hôtel, mes épaules tombantes et moi avons suivi Cruella vers notre chambre.
« Brochet, par respect l'une pour l'autre, merci de dormir sur le canapé. Douchez-vous, lavez-vous les dents et ne buvez pas après 20h. Je ne tiens pas à être réveillée par vos allers et venues aux toilettes. Eteignez votre portable aussi. Les messages et appels de vos amies écervelées ne m'intéressent pas. N'allumez pas la télévision, vous n'en deviendrez que moins bête. Extinction des feux à 22h pour un levé 5h. Brochet, le monde appartient à celles qui se lèvent tôt. Ne ronflez pas. »
La peur de perturber le sommeil de sa Majesté Cruella, Reine du pays de la cruauté m'a immédiatement saisie.


J'ai passé la nuit à l'observer. Sur son grand lit deux places. Elle avait un masque sur le nez et des boules Quies dans les oreilles. Endormie, elle avait presque l'air gentille. Mais je n'ai pas baissé ma garde. Je ne lui ai pas tourné le dos. Je ne l'ai pas quitté des yeux et j'ai tremblé dès qu'elle changeait de position. Elle m'aurait probablement assassinée si elle s'était réveillée puisque ça aurait forcément été de ma faute. Je n'ai pas ronflé (comprenez dormi). Je me suis retenue toute la nuit de faire pipi.
Juste une nuit.
Les autres, je les ai passées dans une chambre seule. A ronfler dès 22h. D'épuisement.
Trois semaines à travailler jour et nuit sur des sujets plus inintéressants les uns que les autres (bienvenue à Chiantland), avec un tyran tyrannique qui ne fume pas, ne mange pas, ne boit pas, ne fait pas de pauses, ne rit pas. 
Boulot. Boulot. Boulot.
Pas de weekend. Pas de shopping. Pas de pubs. Pas de bière (j'aurais tué pour boire de l’alcool). Pas de joli garçon à ramener dans ma belle chambre d'hôtel. (Moi qui trouve la langue anglaise sooooo sexy).
Nombre de remarques désagréables de Cruella sur :
- ma tenue vestimentaire: 22
- mon poids: 9 (facile quand on est un fil de fer sur le berceau duquel la fée du sourire n'est pas passée).
- mon non-mec: 3 (la salope!)
- Ma Mama que j'appelle tous les jours et le « cordon à couper parce qu'il est grand temps de grandir si vous voulez réussir, Brochet !»: tous les jours.
Nombre de remarques sur les trentenaires de nos jours qui se plaignent tout le temps: 19
Nombre de remarques sur les trentenaires de nos jours qui ne sont que des Marie-couche-toi-là: 7 (sans déconner, qui dit encore Marie-couche-toi-là aujourd'hui???)
Nombre d'allusions à mes non-sorties dans Londres « qui ne vous feront pas de mal, Brochet ! »: 6
Nombre de coups de fil passés par Cruella à son fils Mao (un chiard encore imberbe, insupportable, impoli, imbuvable): 37
Nombre de coups de fils passés par Cruella au psy de Mao pour lui dire que c'est lui et pas son fils qui ne fait pas d'effort: 8
Nombre de cafés demandés par Cruella à Cathy: 87
Nombre de fois où j'ai pleuré: tous les jours, à 16h.
Nombre de fois où j'ai programmé de pleurer à 16h: tous les jours, à 7h.
Nombre de "merde" non prononcé pour être moins grossière: 12 789 564 (millions).

Ce soir, en me rendant à son bureau, je me dis que j'ai dû faire de très vilaines choses dans ma vie antérieure pour être punie de la sorte. 
Lorsque j'entre, elle me tourne le dos et ne prend pas la peine de se retourner.
"Bonjour" lui dis-je (murmure-je).
"Ah Brochet! répond-elle, toujours retournée. Apportez-moi un café.".
Quoi??? C'est tout?? Juste un café? Dieu soit loué!
Je suis allée le lui chercher en gambadant de joie, tel un petit mammouth ailé tout content. 
Par contre, j'ai pris soin de lui mettre du vrai sucre plutôt que de l' aspartame dans le café, histoire qu'elle devienne obèse.


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