J’ai
décidé de rentrer en guerre contre tous les cons. Les rastons, les pas sympas,
les mal lunés, les désagréables, les râleurs, les harceleurs, les chiants, les
pas contents.
Ma
première bataille va donc se faire contre Cruella. Elle est particulièrement en
forme en ce moment car elle a découvert que Mao (son fils, un ado trop-gâté, en
plus d’être chiant) fume des pétards dans les chiottes du lycée et l’insulte
systématiquement sur ses statuts Facebook.
Elle
est donc très très remontée et, comme toujours dans ces cas là, s’en prend à
moi.
J’ai
donc quotidiennement droit à sa visite (du haut de ses Louboutins de 12cm qui
font trembler les murs, mes collègues, et moi) dans l’open space où je suis
esclave avec d’autres petits-auditeurs-très-bas-dans-la-hiérarchie. Le processus
est toujours le même : elle déboule devant mon bureau, me jette un dossier
et commence à hurler. Devant tout le monde.
Il y
a forcément quelque chose qui ne va pas dans le dossier : un chiffre mal
arrondi, un paragraphe mal rédigé, une consigne qu’elle prétend m’avoir donnée
(ah bon ?) et que je n’ai pas respectée. Ensuite, elle embraye sur ce qui
ne va pas chez moi : mon cerveau trop petit que je n’arrive pas à faire
fonctionner, mon incompétence, ma non-écoute de ses instructions et blablabla.
Pendons-la.
J’attends
patiemment que ça passe. Ensuite, je prends le dossier et le problème en main.
Tous les autres petits auditeurs m’observent, le cœur brisé, en se demandant
comment je fais pour la supporter. J’ai tellement l’habitude qu’elle se
comporte comme ça que je ne fais même plus attention. Elle m’engueule parfois
sur des dossiers que je ne connais même pas mais j’attends que ça passe. Les
coups de fouet, à force, on ne les sent plus.
Oui mais
aujourd’hui, je suis révoltée d’être la Cathy trop-bonne (dans tous les sens du
terme) trop-conne (dans tous les sens aussi) et j’ai décidé qu’il fallait
cesser d’être le steak qu’on hache mais bien le hachoir.
Nous
avons une réunion cet après-midi sur un gros projet sur lequel Cruella me
cravache depuis des mois. J’ai tout verrouillé, préparé, peaufiné. Elle est,
pour une fois, plutôt contente de moi. Tellement contente qu’elle m’a annoncé
ce matin qu’elle allait présenter elle-même MON travail à la réunion.
« Je
préfère le présenter moi-même, Brochet, car nous serons face aux associés. Il
ne faudrait pas que vous nous ridiculisiez en vous trompant, bafouillant ou
postillonnant. Vous viendrez à la réunion, cependant. Si j’ai des questions, je
veux vous avoir sous la main ».
Le
piège typique. Je bosse, elle présente. Je me tais, elle récolte les lauriers.
Et s’il y a une erreur dans le dossier, elle me pointe du doigt. Oui, c’est le
lot des mini-cadres-diplômés-des-grandes-écoles-qui-ont-un-jour-eu-l’illusion-qu’ils-auraient-une-valeur-pour-leur-employeur.
Et
bien pas cette fois ! A la guerre comme à la guerre.
Profitant
de son absence à l’heure du déjeuner, je me suis introduite dans son bureau à
pas de velours, tel le mammouth en ballerines, pour me connecter à sa
messagerie et changer la salle de réunion sur son agenda. Ni vue, ni vue.
Je
l’ai envoyée dans la salle de réunion 410 située dix étages en dessous.
La
salle de réunion 410 est petite, sombre et très isolée. Certains l’appellent
même la sex-room… Je n’en ai
(malheureusement) jamais profité. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi aucun
de mes collègues ne s’est jamais pâmé pour m’emmener faire des galipettes dans
la sex-room. Franchement, c’est
dégueulasse. Tout le monde s’éclate au stalag et moi je me tape les savons de
Cruella, merde !
Lors
des dernières fausses réunions que je me suis inventée dans la salle 410 pour
aller y faire la sieste (sans sexe, donc), j’ai par ailleurs remarqué que la
porte avait du mal à s’ouvrir.
Me
suis donc rendue seule à la réunion, obligée de faire la présentation de MON
travail toute seule, puisque Cruella est absente. Je note toutes les remarques
qu’on me fait et prends soin de ne pas répondre sur ce qui ne va pas dans le
dossier.
« Ne
vous en faites pas, ce n’est pas de votre responsabilité, Mademoiselle. Nous
verrons cela avec Cruella, m’assurent les big boss. Merci pour ce
travail ».
Je
retourne à mon bureau avec un réel sentiment de justice : j’ai présenté
mon travail et c’est ma boss qui se prendra des fessées pour les choses qui ne
vont pas dans le dossier. C’est comme ça que ça se passe normalement,
non ?
Lorsque je l’ai retrouvée près de mon bureau, affolée, décoiffée
avec un talon cassé, j’ai ressenti de la joie (même si c’est très méchant de ma
part).
« Ah Brochet ! Vous n’allez pas me croire. J’ai dû mal
noter la salle de réunion et me suis retrouvée coincée dans la salle 410.
Personne ne passe dans ce couloir, j’ai fini par ouvrir la porte à coups de
talons. La réunion s’est bien passée ? Donnez-moi ce dossier, je prends le
relai. J’espère que vous n’avez pas dit trop de bêtises ! » me
dit-elle en s’éloignant vers son bureau.
J’ai quand même une petite pensée pour ses chaussures : elles
ne méritaient pas d’y rester.
Ce n’était pas leur guerre…
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